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Mon père m’a littéralement traînée au Cours Simon. J’y suis allée exactement trois fois.

J’ai détesté.

Un mois plus tard, je descendis la rue Vavin, seule et frappai à une porte d’immeuble décorée de mosaïques.

A l’intérieur, une grande salle avec une grande estrade devant laquelle trônait l’imposant Raymond Girard.

C’était sa dernière année de professorat pour notre plus grande chance.

J’ai annoné, terrorisée, une poésie. Il a jugé ma voix de : « bel organe », et mon physique d’ « avantageux » et de suite, a cerné mon potentiel.

Il mentionna un cycle de trois ans…

Dans les heures qui suivirent, j’enchaînai textes, exercices de respiration et de diction. Le Concours de fin d’année était pour juin et il me jugea capable d’y participer.

Christian Brendel, Pascaline Naudin, François Guizerix et quelques autres passions l’épreuve face à un Jury prestigieux avec à sa tête Catherine Deneuve.

Le prix spécial du jury nous fut accordé à François et à moi dans deux scènes d’un genre très différent.

 

Suite à ce succès, Raymond Girard décida de me préparer au concours de l’ENSATT.

Pour la scène imposée, « Ruy Blas » je choisis François pour me donner la réplique : il possédait le profil d’un jeune premier, intense et ténébreux !

Il y avait bel et bien une espèce d’électricité entre nous, une attirance certaine, mais il ne vivait pas seul et j’étais bien trop amoureuse d’un autre…

A la fin de notre scène, Pierre Roudy apostropha François :

«  Puis-je savoir pourquoi vous ne vous présentez pas en section comédien ? »

« L’age, Monsieur, j’ai dépassé la limite autorisée. » répondit-il

« Eh ! Bien nous faisons une exception…Préparez-vous pour le second tour ! » ordonna Pierre.

Nous fûmes reçus tous deux.

Lui chez Michel Favory, avec,  Marie Marfaing, Françoise Pinaud et Arnaud Bédouet, moi, chez Roger Mollien – pour  qui j’eus une admiration totale et immédiate –  et chez Jean Paul Zehnacker avec, entre autres, Luc Etienne, et André Obadia.

 

Une année magique débutait dans l’euphorie. Les clans se formaient, les amitiés se forgeaient et les amours variaient. Le Bonheur à l’état pur.

Nous passions de Tchékhov à Molière pour finir avec Pinter. Palette multiple. Je n’y ai connu aucune jalousie, mesquinerie ou engueulades. Nous étions soudés, complices et conscients de notre invraisemblable chance.

Ce lieu possédait la « grâce ».

Yves Gasc, donnait des cours passionnants de poésie, peu d’élèves assistaient au cours d’anglais, et nous étions morts de rire avec Maître Gardère (le bien nommé, à qui nous donnions le « la ») professeur d’escrime, toujours entre deux verres dont les cours se déroulaient dans une gigantesque pagaille  !

Nous préparions pour la fin d’année « Le Cid » avec Mollien qui me gratifia de deux rôles en alternance : celui de Chimène et celui de l’Infante.

Fallait-il qu’il ait confiance en moi ! Il fut sans conteste mon meilleur professeur. Nous apprîmes à décortiquer un texte de tragédie comme un musicien aborde une partition musicale.

Les costumes, d’époque, somptueux furent réalisés à l’atelier de la section des costumiers.

Ils nous ravirent. Nous apprîmes dans ce ravissant petit théâtre à déambuler, et déclamer avec plusieurs tissus épais, de lourdes coiffes, et des fraises suffocantes.

 

Première grande émotion scénique, apprivoisement d’un texte ardu face avec un public averti.

Apprendre à domestiquer, contenir le trac, ennemi maléfique incontournable.

Il me reste quelques photos de ce spectacle original et magique, de Kathie Kriegel, de Pascaline Naudin, d’André Obadia et de ma pomme.

J’ai traversé ces représentations telle une funambule, voire une somnambule.

Je garde un souvenir impérissable d’un soir de fou rire général, en scène. Nous pleurions littéralement, les épaules secouées, dos au public. Tous, incapables de sortir un vers suite à Don Diègue qui avait répété cinq fois une identique tirade ! Trou général, l’audience, Dieu soit loué, fut complice.

Hilarité et honte….Nous reprîmes, sans pour autant oser nous regarder dans les yeux !

Peu après, Yves Gasc – grâce auquel eurent lieu des soirées poétiques éclectiques – m’encouragea à présenter LE Conservatoire.

«  Tu es prête » m’ordonna-t-il. J’y allai à reculons…

 

Naturellement je demandai à François Guizerix, de me donner la réplique dans « Mademoiselle Julie » d’August Strinberg.

Je lui avais porté chance, à son tour de me prouver sa reconnaissance !

Gagné.

Je fus admise et François fît sa seconde année à L’ENSATT. Le bienheureux…

Le lieu imposant, l’ambiance froide, les règles draconiennes, les « anciens » snobant les nouveaux, l’extrême sérieux des professeurs, tout  était différent de ma chère rue Blanche.

Je n’arrivai pas à m’y intégrer. Finalement, pas ma tasse de thé, même si je m’y fis, vaguement, deux ou trois amis comme Didier Bourdon ou Eric Prat.

Un grand plaisir cependant : les cours d’Antoine Vitez les samedis matins, en spectatrice.

Je n’y passai qu’un an à peine, engagée très vite pour un rôle principal dans un théâtre « privé ».

Les autres me jugèrent. Une pestiférée.

Jacques Rosner, le directeur, me dit alors : «  Vous apprendrez mieux votre métier « sur le tas » que de passer encore deux ans ici. »

OUF ! Sauvée ! Je n’allais vraiment regretter que les cours de danse très matinaux avec Robin Renucci et Anne Canovas…

 

Après avoir passé cinq ans à jouer en France avec parfois des anciens de la Rue Blanche comme Pierre Tarbouriech ou Gilbert Ponte, puis cinq autres à New York avec la compagnie de John Strasberg, je décidai – entourée de quelques français expatriés – de  créer une compagnie franco-américaine, bilingue, avec des textes français traduits en anglais.

 

Avec le montage de « L’Orchestre » de Jean Anouilh, je fis venir deux « anciens » : Véronique Lindenberg et Christian Aubert.

Nous donnions deux versions, l’une en anglais, l’autre en français et jouions les deux tous les soirs…Sacrée gageure. Expérience passionnante mais peu lucrative…

 

Pour des raisons qui me sont encore obscures, j’arrêtai cette carrière à trente ans, toujours incapable d’affronter, muette et tétanisée, l’appareil noir, monstrueux, à mes yeux : la caméra de cinéma.

 

Longtemps après, un jour d’avril, je reçus une missive de Nathalie Rheims : elle organisait une grande soirée avec les comédiens de l’ENSATT des années 79 et 80 (je crois ?) et m’engageait vivement à m’y rendre. J’étais à Los Angeles. Un peu loin. Un peu cher, aussi, l’aventure.

Mais avec la liste de tous ces noms, des cascades de souvenirs resurgirent…Tant pis ! Je pris quand même un billet et m’envolai vers ces retrouvailles.

 

Ils y étaient presque tous, rassemblés, à la Cité Universitaire. Les connus, les moins connus et les inconnus tout court.

Embrassades joyeuses, déclarations, aveux, effervescence, ça parlait fort et ça riait comme des mômes. Non, pas changés, en apparence pour certains, en vérité pour d’autres.

Dans un coin, je vis accoudé à la fenêtre, François Guizerix, l’air triste et désabusé.

Nous parlâmes jusqu’à l’aube et aussi ivres l’un que l’autre, il mit une heure à me raccompagner chez moi rue de Seine, en collant les trottoirs !

 

En cette année 1991, il revint souvent au bout du bout de la rue de Seine. Nous avions connu d’atroces souffrances post divorces. Moins par moins faisant plus, nous réapprîmes à rire haut et fort de concert.

Le dix octobre 1992 naquît notre première fille, Margaux.

Le huit octobre 1993 notre seconde fille, Louise vit le jour.

 

Un an avant de retrouver les « anciens », à la mort de ma grand-mère, j’ai déniché dans son portefeuille, parmi deux ou trois photos jaunies, un extrait de presse mentionnant, côte à côte, les deux noms de Guizerix et Manusardi datant de notre jeunesse et de ce prix du jury partagé.

Ce fut le jeu de l’amour et certainement pas celui du hasard…

L’aventure dura dix ans.

Il vit dans ses « guignols »

Je vis le crayon au bout des doigts.

 

Kristina Manusardi

 

 

 

 

                                                      

 

 

 

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